textes écris, critique

Il n'y a pas d'age pour avoir les pieds sur terre.  Compte rendu de spectateur de «  Louise en hiver », film d'animation de Jean-François Laguionie 




Je n'ai pas cinquante ans et déjà je me suis senti vieux lorsque le Film a commencé : la stabilité des images ! Fi du scintillement et du bref décalage entre chaque image, le numérique est là, désincarnant dès le départ les dessins animés et les films de mon existence. La surface du papier Canson à grain semble là pour me faire sentir qu'il y a de la matière, mais je n'y crois pas trop. Je sens confusément que cette voix qui va m'accompagner tout du long contrebalance mon impression de coque numérique un peu creuse.

Ce n'est pas une voix qui me parle, c'est une voix qui se raconte, on est mis dans la confidence dès le départ. Je ne m'identifie pas au personnage, une femme du troisième âge, pensez vous! Et pourtant quelle connivence avec cette femme âgée qui ressemble tant à une grand mère, avec cette petit dose d'égocentrisme que l'on croise si souvent dans une maison de retraite.

Elle s'est tranquillement préparée à louper le train-train de la vie, elle devient la Robinsonne à priori involontaire de la station Balnéaire de Biligen. Une Robinsonne qui après la tempête théâtrale qui inondera la cave de SA résidence secondaire, va se réfugier sur la plage dans son abris bricolé et va vivre car elle y est prête, durant tout l'hiver son expérience initiatique.

C'est de ce point de vue qu'elle se mettra à observer, une fois sortie de son centre ville, les horizons dégagés qui donnent des couleurs chaque jour différentes. Et la voilà qui par petites touches impressionnistes, se redécouvre une impulsion de vie qu'elle va mettre à profit pour se faire renaître, à coups de promenade et autre pêche à pied, jardinage et autres flâneries, débarrassée de l'interaction des autres, elle va enfin entendre ses rêves et se mettre en phase avec son passé recomposé. Reprendre pied dans sa vie.

Je me rends compte que je n'ai toujours pas parlé de la musique et pourtant. Elle est souvent là, à priori discrète, semblant aller de soi, mais portant parfois ses propres désirs d'images en concurrence avec ce qui se passe à l'écran. Elle fait partie de cette extraordinaire bande son qui donne de la vitalité à l'ensemble, du flux, du sanguin, de la matière ; réminiscence de Gerswin et Debussy avec une touche très contemporaine.

Qu'importe, Louise -tiens, c'est la première fois que je la nomme- ne s'épargne rien et à travers ses rêveries part à la découverte de son impulsivité, sa nonchalance, sa cruauté, sa violence parfois, toutes ces forces qui l'ont traversées durant sa vie entière sans qu'elle ne consente à se l'avouer. Et c'est là son passage à l'humanité, oui elle est une femme, oui elle a été cruelle et violente ; oui se l'avouer c'est nouveau, mais elle ne savait pas vraiment voir avant, ni le monde, ni elle même. Ce périple introspectif en parallèle d'une véritable attention à l'environnement, il y a là je crois une grande question du film : arriver à conjuguer lucidité, présence et conscience de soi, par l'introspection et l'observation.

Le Degas du vestibule était pourtant là sur le mur de SA résidence secondaire, comme une résolution de début d'année, une petite piqûre de rappel avant chaque sortie de la maison, avant d'aller faire les courses. Il aura fallut du temps à Louise pour que ce vaccin visuel fasse son effet. Tant de fois passé sans le voir il finira par opérer. Et Louise découvre, que l'aventure que vivent les peintres avec le visible, elle peut y accéder. La petite promesse contenue dans la peinture impressionniste que tout le monde peut accéder au présent par la vue n'est peut être pas mensongère, même si elle nécessite, et c'est peut être là la difficulté, la condition d'être seule, les pieds sur terre.

Mais la condition d'être seule, n'est pas l'obligation d'isolement. Cette petite Louise se serait perdue sans l'âme câline qui l'accompagnera et la sauvera même du naufrage narcissique. Ici comme souvent l'initiation s'accompagne du voyage aussi petit qu'il soit, d'une renaissance après avoir revisiter l'origine du monde, et d'avoir enfin buté sur les couvertures glacées des magazines et leurs modèles photographiques.


Après, lors de son retour en société, Louise n'aura pas vraiment changé, un peu moins d'acrimonie peut être dans ces arrières pensées. En tout cas le regard des autres sur elle changera. Mon regard aussi aura pris pied sur les images avec la courte échelle du son et la finesse d'observation que dégagent les séquences. Durant tout le film, son personnage aura pris de l'épaisseur, son pas aura pris de l'assurance et les images projetées se seront parallèlement étoffées, me rendant spectateur de ce numérique dont je m'étais détaché au début. Il n'y a pas d'age pour avoir les pieds sur terre et je sors moi aussi de la salle de projection le pas plus léger, accompagné de Louise, Degas, Camille, Monet, Boudin, Suzette, Myasaki, Courbet, Christine,Tournier, Debussy, Klee, Eloise, Kandinsky, Truman show, Hiroshige, Fred, Sugimoto, Mymy, Dominique Frot, Pépère et un petit nouveau pour moi, Laguionie. Nous sommes quelques uns à percevoir que l'air est très frais, un peu moins qu'il a cette odeur caractéristique des premiers jours de froid secs, quand on sent de nouveau les gaz d'échappement. Mais pour certaine la grippe n'est pas très loin et il nous faut rentrer.  


---------------------------------------------------------------------------------INTITRÉES- Mon cheminement de spectateur sur l'exposition de Cyrille Cauvet  au" Karavan Tatoo and co" du 18 novembre au 14 décembre 2016





                En arrivant, les photographies ne m'accueillent pas, ne me séduisent pas. Elles sont là, accrochées avec attention, précision, les spécificités du lieu prises en considération. Elles m'emmènent d'emblée dans un monde de cinéma, de peinture, mais ne me permettent pas l'anecdote et encore moins la narration. Pas de cartel, pas de titre, une faute me dis-je intérieurement. Il ne fait pas l'effort de venir vers moi de me donner les clefs. En passant à l'autre versant, je me dis que c'est moi qui vais faire l'effort. La transition était faite, je quittais ma peau de consommateur. Les yeux grands ouverts comme un robinet à double flux, le cerveau en mode projection-réception, les tripes en alerte, j'approchais prêt à faire ma gymnastique de spectateur.



                Sur ce deuxième panneau, si quelques regards orbitaux me guettent, je ne me laisse pas prendre à leur jeux. Tel un photogramme  qui brûle dans la lanterne du projecteur, les crânes s'étiolent et me laissent tranquille. Je décident d'investir la scène qui m'est présenté, où ce que je prends pour de la gélatine de film, semble avoir été passé au destructeur de document et réduit en minces bandelettes qui se retissent entres elles. La scène est baignée dans un éclairage à bascule, entre très chaud et très froid, me rappelant " Eyes wide shut" en version théâtral, ou encore les films X de Salieri des  années 90. J'y retrouve aussi la couleur orangée du négatif couleur que l'on appelle le Masque.
                Je passe au troisième versant, un peu perplexe sur mes références cinématographiques que je pense pouvoir garder pour moi. De nouveau des regards m'interpellent un peu plus longuement, la couleur noire minéralise les crânes et derrière les orbites comblées, j'entrevois un vide sidéral. Et puis cette étole blanche brodée de dorée, masque borgne troué en son centre qui se déplie dans son environnement charbonneux. Le regard devient cyclopéen, éminemment érotique, pulsion scopique primaire et sidérale. Une étole que je situe  entre le bandeau de jeux SM, le masque vénitien , la culotte de chasteté fendue et un accessoire de prêtre catholique. Étrange cette broderie qui m'interpelle et qui pour la première fois me pose la question de l'impact érotique des vêtements liturgiques. On me souffle alors la piste de la tiare, je préfère celle du manipule, et finalement j'assume mes références cinématographiques.
                Mon travail de spectateur n'est pas encore cohérent. Je suis encore perturbé par l'absence de narration dans mes pérégrinations cinématographiques, théâtrales, picturales, iconiques. Ma frustration de consommateur ne m'a pas quittée. C'est un élément de sa bio qui viendra faire sens: Cyrille Cauvet est réalisateur de décor, ce n'est pas lui qui raconte les histoires. Il plante le décor et surtout s'en arrête là. N'allez pas croire qu'il esquive, non, je crois qu'il prend ses responsabilités à cœur. Je me retrouve enfant devant un levé de rideau, stupéfait par l'apparition, envahi de sensations dont je ne sais que faire, attendant qu'enfin quelqu'un prenne la parole, en suspend, les yeux grands ouverts et inertes. De la même façon, ses images sont là en pré-texte, et me laisse dans l'inconfort du suspendu. Le vide de cette inquiétude, je le comble à mon tour en inventant un mot par vanité pour ces images qui restent et demeurent pour moi "Intitrées". 
                



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Réflexion sur les fondamentaux de l'enseignement, après le concert Lecture Florence Badol Bertrand.



Concert lecture, nous sommes dans le Théâtre de la maison de la culture Le Corbusier de Firminy, pour un concert lecture de Festy Vocal. Une forme de conférence où Mme Badol Bertrand va parler de 1000 ans d'histoire de la musique sacrée, et où le chœur va donner vie, aux propos énoncés. Je prétends, que ce fut un merveilleux cours. Une expérience d'enseignement de haute volée. Une situation ou des intuitions qui m'habitaient ont pris forme en pensées et hypothèses qui s'énoncent.




Parmi les intuitions qui vont se développer ce soir là, en voici deux que je peux aujourd'hui exprimer:
                - Depuis un an que je chante dans un Chœur, sous la direction de G.Dumas, je me retrouve  élève, serein, mais complètement élève. Et chose curieuse, je ne vis pas ça comme une régression et le statut d'institutrice de la chef ne me suffit pas à expliquer la chose.
                - Depuis que je prends  des  photos en conditions de répétition et de concert de Chœur Ondaine, je suis surpris de la possibilité d'y puiser des images à ressort iconique, que je replace plutôt XI-XIV °siècle roman ou byzantin. Ce fut encore plus fort ce soir là.

                Dans le flot de que j'ai capté du discours de Mme Badol Bertrand, voilà quelque bribes qui m'ont aidé à énoncer ces intuitions et à pousser un peu le raisonnement:



                Il est des révolutions qui ont bouleversé l'humanité, chacun le sait. L'imprimerie est un lieu commun de ces révolutions, mais je n'avais pas pensé que la musique aussi était écrite et que ça allait aider à sa diffusion. Ça m'a du coup ramener à l'idée que si révolution il y a eut, c'est parce que des fondamentaux telle que l'écriture, existaient.  
                La photographie je le crois fait partie de ces  révolutions, et pour la première fois j'envisage que ses fondamentaux "occidentaux" se trouveraient dès la peinture antique et les programmes iconographiques chrétien.
                En ce qui concerne les réformes protestantes, je savais de mon côté que l'iconographie était lieu de fracture, mais apprendre que chez certains protestants, la musique était elle aussi bannie du lieu de culte m'a frappé. Cela me renseigne clairement sur une communauté de perception de ces deux moyens d'expression, qui seraient suspectés de tromper plutôt que d'instruire.
                En regardant les images de concert produite, en les associant à cette musique, aujourd'hui, je me démystifie un peu ces icônes romanes ou byzantines. En considérant qu'elles portent en elles une attitude encore visible sur des choristes aujourd'hui, j'en déduis qu'elles ne faisaient à leur manière que " rapporter fidèlement" une réalité visible avec, bien évidemment, l'alchimie de leur moyen plastique.


                Apprendre que la première classe qui a existé en occident, est une classe de musique a été comme une évidence. Cela m'a ramené immédiatement à la question de l'exigence. En premier lieu, viscéralement, celle de l'enseignant, qui se voulant efficient et se rattachant certainement à une tradition, confond la sienne et la mienne pour mon bien croit-il. En second lieu, à mon expérience d'élève d'aujourd'hui, qui -enfin- utilise sa propre exigence pour la mettre au service de la musique. Car la musique me demande de l'exigence. Les conditions pour que j'accepte de la lui offrir m'appartiennent, et j'ai trouvé ces conditions à Chœur Ondaine.
Dans les fondamentaux de l'enseignement il y aurait cette première classe de musique dont je perçois les traces aujourd'hui. Si je pense à la classe d'école contemporaine (qui m'est contemporaine), est-elle  construite comme cette première classe de musique? La comparaison me parait intéressante, avec la question du déplacement de l'exigence que demande la musique. 




A l'issu de ce concert, et après une nuit de sommeil je perçois mieux les liens entre l'image et la musique et je comprends mieux leurs affinités. Associer les caractéristiques  iconiques du XI avec la musique de cette époque et l'expérience qu'encore aujourd'hui cette musique  provoque sur les  individus, me parle de leurs complémentarités en terme d'enseignement. Les deux étaient utilisées conjointement voir simultanément. 




Elles sont de plus deux moyens de transmission qui ont inquiété des clergés qui se sont réformés contre elles. Chacune d'elle parle très directement au corps sans passer forcément par l'intellect, et peuvent amener des interprétations hâtives et erronées que le collectif peut s'approprier et imposer. Il y a une vigilance à porter sur l'utilisation de ces média, mais il ne faut pas être dans une exigence déplacée, ni le faire sûre de son autorité.



 Voilà aujourd'hui les réflexions qui me traversent au lendemain de ce concert lecture et du résultat de ces élections outre atlantique. Il y avait des gens qui travaillent honnêtement à cette vigilance, hier au soir et l'expérience de leur enseignement me porte  plus loin que leur propos.



Et si je devais garder une leçon de cette expérience, ça reste la qualité d'écoute de l'enseignant.

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